Remplacer la justice sociale par la justesse sociale


La "justice sociale" c'est l'idée que les hommes de l'Etat doivent réparer des "injustices" qui naissent spontanément dans la société. Initialement employée par la gauche socialiste, la formule a été largement reprise puis adoptée par la droite néo-gaulliste. Ce mantra dirigiste suggère que la réglementation étatique est plus juste que la régulation qui naît de l'offre, de la demande et de la concurrence.
Les étatistes pourraient, de façon plus neutre, utiliser les termes d'ingénierie sociale ou même de redistribution sociale pour décrire leur action mais ils préfèrent se présenter comme des "justiciers" redresseurs de tort. On comprend bien l'intérêt qu'ils en retirent.
Le mot justice suppose qu'il y a des victimes et des coupables dans la société. Le concept de "justice sociale" implique donc que les hauts revenus et la réussite sont une forme de criminalité. Autrement dit si les services ou les produits que vous proposez deviennent très appréciés du public, vous serez poursuivi par les "justiciers sociaux".
Inutile de s'appesantir sur cette expression ; sauf à adhérer à la vieille théorie de la survaleur marxiste, la "justice sociale" est une véritable horreur idéologique.

Et pourtant, l'idée qu'il faut définitivement abandonner le concept de "justice sociale" suscite incompréhension et réticence jusque dans le camp des libéraux.

L'origine de cette hésitation tient probablement au fait que nous voulons tous une société socialement juste. et que nous sommes convaincus que la liberté, associée au droit, est un facteur de progrès social.
C'est dans cette optique que l'ancien parti Alternative Libérale a souvent employé l'expression de "justice sociale", notamment dans ses documents fondateurs ou à l'occasion de conférences, et que le PLD continue de l'employer :
"Nous croyons que la liberté des individus ne s'oppose pas à la justice sociale, mais qu'au contraire elle en est le socle". (AL)
"Les libéraux au secours de la justice sociale". (AL)
"Bureaucratisé à l'extrême, l'Etat est incapable de remplir ses promesses en matière de justice sociale." (PLD)
"Nous continuerons à défendre cette mesure de justice sociale [la retraite par épargne personnelle], par ailleurs financièrement bien plus rentable que le système de répartition". (PLD)

Or, et c'est de là que nait le quiproquo, une société socialement juste n'est pas une société dans laquelle règne la "justice sociale". C'est ce que nous allons nous employer à démontrer dans la suite de cet article.

Hayek soulignait à juste titre que le langage que nous utilisons a été forgé au sein de sociétés fermées et qu'il est parfois bien difficile de se dégager des concepts qu'il véhicule.
Pour nous en persuader considérons l'adverbe "juste"  dans les deux sens qui nous intéressent :
1) conforme à la raison, au bon sens; précis, exact, vrai.; antonymes : faux, inexact ou erroné.
2) conforme au droit; légitime; équitable ; antonymes : injuste ou inéquitable.
et écartons son troisième sens qui est hors sujet, à savoir "insuffisant".

Lorsque l'on effectue un raisonnement mathématique, le fait qu'il soit juste n'a, à l'évidence, rien à voir avec la justice. Il est juste simplement parce qu'il est conforme à la logique. De même, une société "socialement juste" est pour les libéraux une société en accord avec la raison, et non une société fabriquée par la justice.

Vouloir en politique associer ce qui est juste à  l'idée de justice est réducteur puisque l'on peut également associer ce qui est juste à l'idée de justesse.  La société dirigiste traditionnelle abuse de cette orientation qui sert ses intérêts. Il s'agit de faire croire qu'une société juste s'obtient en faisant régner la justice. Or la justice, qu'elle soit humaine ou divine fait obligatoirement appel à un appareil humain, l'église ou l’État.

Dans la société libérale, est juste ce qui découle de la conformité de l'organisation sociale avec les lois de la nature humaine.
Un pont destiné à franchir une rivière remplit correctement sa fonction si le travail des ingénieurs est juste. Si le pont s'écroule ce n'est pas une injustice, c'est une erreur, autrement dit la sanction que constitue l'effondrement du pont n'a pas une origine humaine, elle est naturelle. C'est une mauvaise évaluation des lois de la nature qui fait que le pont ne rend pas le service que les hommes attendaient de lui.
De même c'est une mauvaise évaluation des lois de la nature humaine qui fait qu'un système politique ne rend pas les services qu'on attend de lui.

Ainsi les Hommes de la sociale-démocratie ont accumulé des déficits pendant 35 ans et creusé la dette de nombreux pays. Malgré un niveau de dépenses publiques astronomique, la pauvreté, la précarité et le chômage augmentent. Il est devenu évident pour toutes les personnes de bonne foi que l’État-providence est un fiasco. Si l'Etat providence connait cet échec cuisant ce n'est pas parce qu'il est injuste, c'est parce que les hommes de l'Etat se sont trompés, c'est parce que l'édifice qu'ils ont bâti s'écroule, comme se sont écroulés tous les régimes socialistes dans le monde.

Difficulté supplémentaire du langage, l'ingénieur dont le pont s'écroule, ou les Hommes de l'Etat en faillite, peuvent être déclarés coupables et répondre de leur incapacité ou de leur négligence devant la justice, mais  il n'en demeure pas moins que la cause de ces deux désastres est bien une erreur (le non respect des lois de la nature) et non une injustice.

Vouloir fabriquer une société "de justice", c'est admettre implicitement que le droit positif peut construire de toutes pièces une société dans laquelle règnera par exemple l'égalité "effective" entre les hommes. Les constructivistes ne se posent pas la question de savoir si une telle société est viable, c'est à dire si elle est conforme à la nature humaine. Ils la veulent, ils la désirent, elle leur sert à se faire élire, donc ils la "fabriquent" sans se soucier le moins du monde de sa solidité ou de son équilibre. Un peu comme si on décidait de construire un pont d'une seule portée de 10 km de long, sans s'inquiéter d'étudier la nature, donc la résistance, des matériaux employés.

En conclusion, utiliser l'expression justice sociale pour marquer notre attachement à une société socialement juste est manifestement une erreur. On peut contourner le problème en employant des périphrases. "Les libéraux au secours de la justice sociale" deviendrait  :   Les libéraux au secours de l'instauration d'une société socialement juste". Ça sonne évidemment moins bien puisque la langue s'est construite dans un univers dirigiste. Une autre solution consisterait à remplacer la justice sociale par la justesse sociale par analogie avec la justesse d'un raisonnement. La justesse sociale permettrait, en modifiant les habitudes du langage, de suggérer qu'une société juste est celle qui tient compte des lois de la nature humaine et non celle qui légifère à tour de bras.

Photo flickR licence CC par Dav

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