Propriété intellectuelle et téléchargement

Dans sa préface  au "Plaidoyer pour la propriété intellectuelle" de Lysander Spooner, Alain Laurent commet quelques raccourcis assez étonnants et une confusion systématique entre droit d'auteur, droits de l'auteur, droits de propriété intellectuelle et copyright.
Le ton est donné dès les premières lignes de cette préface qui affirme : "l’air du temps est à la stigmatisation du droit de propriété intellectuelle et, dans la foulée, du droit d’auteur – ou du «copyright» dans sa version anglo-saxonne. "

Alain Laurent évoque tout au long de sa préface les revendications des internautes à ne pas être poursuivi par l'industrie du disque, du cinéma, de l'édition ou par l'État pour avoir téléchargé un morceau de musique, un film, ou une œuvre littéraire et il les assimile à une négation des droits de propriété intellectuelle à caractère collectiviste.

Première erreur, personne, en téléchargeant une œuvre, ne prétend contester ou s'attribuer la propriété intellectuelle de son auteur. Quand on télécharge un morceau de musique ou un film on ne prive personne de sa propriété intellectuelle.
Le téléchargement ou le "photocopillage"n'est donc absolument pas une contestation des droits de propriété intellectuelle et encore moins des droits moraux de l'auteur qui, eux, sont par définition incessibles et intransmissibles.

Continuant de confondre droit d'auteur, propriété intellectuelle et copyright, Alain Laurent poursuit : "sa révocation [celle du droit de propriété intellectuelle] mettrait définitivement en péril la survie financière des auteurs/créateurs tributaires du marché et plus largement l’industrie culturelle." Affirmation presque socialiste (ou corporatiste suivant la période à laquelle on se réfère), l'État devrait donc "protéger" les auteurs-créateurs alors qu'ils peuvent parfaitement trouver un emploi et gagner leur vie en exerçant n'importe quel métier : serveur, manutentionnaire, banquier, fhomme de ménage.
Mais pourquoi alors ne pas "protéger" les conducteurs de locomotive à vapeur, les rémouleurs ou  les cochers  qui, eux aussi ont perdu leur emploi et leur savoir faire ?

S'il n'est pas une remise en cause ni une atteinte au droit de propriété intellectuelle et au droit des auteurs, le téléchargement est en revanche très clairement une contestation du copyright (droit de copie). Rappelons brièvement que s'agissant des œuvres littéraires il est d'usage en France que le droit de copie soit transmis par l'auteur (ou par le détenteur de la propriété intellectuelle) à son éditeur tandis qu'aux États Unis le copyright demeure généralement attaché à l'auteur.
Donc, ce que l'on pourrait éventuellement reprocher aux soi-disant "pirates" (qui n'ont jamais attaqué personne)  c'est de priver une personne physique ou morale d'une rémunération.

Mais la rémunération est-elle due dans le cas présent ? Quel est le service rendu par l'auteur et les interprètes ? Est ce parce que quelqu'un a effectué un travail - tout travail est une création intellectuelle comme le soulignent Spooner et Laurent - qu'il est en droit de réclamer une rémunération ? Non, évidemment !  Pour que ce travail soit rémunéré, encore faut-il qu'il intéresse quelqu'un qui va accepter de le payer au prix proposé par le vendeur. Si quelqu'un qui passe dans la rue, s'arrête pour écouter un morceau de musique, l’interprète et l'auteur n'ont aucun droit d'en demander le paiement au passant. Or il se trouve que, la technique aidant, on peut "entendre" de très loin. Grâce à l'Internet on peut entendre, voir et lire d'un bout du monde à l'autre.
Spooner ne pouvait certes pas prévoir cette révolution technologique. Utiliser son texte pour en tirer des conclusions sur le téléchargement est d'ailleurs un peu abusif.

Prétendant interpréter la pensée de Spooner, Laurent continue :  "la transmission des droits de propriété ne peut en aucun cas se faire sans le consentement (clé de voute de sa démarche) express de l’individu qui les détient
Oui, personne ne conteste ça, sauf qu'une fois encore, il n'y a absolument aucun transfert de droits de propriété intellectuelle lorsqu'une copie est réalisée.
La propriété intellectuelle reste pleinement et entièrement attachée à son détenteur à charge pour lui de la faire fructifier en obtenant le consentement des acheteurs de copies de l’œuvre. Or c'est précisément ce que la technique moderne ne permet plus de faire. Avec l'Internet la propriété intellectuelle n'a absolument pas disparu, elle a juste perdu une partie de sa valeur marchande. La distribution et la copie étaient une façon de valoriser la propriété intellectuelle dans certains domaines artistiques (pas dans la peinture), elles ne le sont plus, un point c'est tout.
Est-ce parce qu'Aristote, Rembrandt ou Mozart n'ont pas pu monétiser la copie ou la diffusion de leurs œuvres que leur droit en tant qu'auteurs (droits de l'auteur) est contesté ?  La réponse est non ! Eh bien il se trouve que la courte parenthèse historique durant laquelle le droit de copie a pu se vendre a pris fin. Les détenteurs de droits de propriété intellectuelle doivent juste trouver de nouveaux moyens de valoriser leur propriété. Cela peut se faire en essayant d'empêcher matériellement la copie, en baissant les prix, ou en inventant de nouveaux supports attractifs ou contraignants : concerts, tirages originaux limités, publicité.

Fort heureusement Alain Laurent ne suit pas Lysander Spooner lorsque ce dernier, contre toute logique, réclame des Droits de propriété intellectuelle perpétuels. Cette revendication de Spooner complètement délirante est d'autant plus étonnante que dans the constitution il démontre très brillamment que la constitution des États Unis n'a aucune valeur puisqu'elle prétend engager une multitude  de vivants au nom d'un texte signé par quelques morts. Alors comment peut-il réclamer la jouissance perpétuelle de droits de propriété intellectuelle qui constituerait manifestement un contrat entre un mort et la totalité des individus vivants, contrat qu'ils n'ont de surcroit jamais signé ? Et puisque tout travail est une production intellectuelle, alors tous les employés de toutes les entreprises dans le monde seraient en droit de réclamer des royalties sur leur travail passé pour eux et leurs héritiers ad vitam æternam !

Allez, décidément les voies du corporatisme sont impénétrables et inattendues.

Photo flickR licence CC par christopher dombres

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