Emmanuel Macron, sera t-il le premier réformateur libéral de gauche ?

Emmanuel Macron, notre nouveau ministre de l’économie, pourrait-il être un homme de gauche libéral-compatible ? Tenons-nous enfin la perle rare, de gauche, capable d’engager les réformes qu’aucun gouvernement de droite ou de gauche n’a eu le courage ou la volonté de faire depuis trente ans ?

Pour répondre à ces questions il faut en examiner d’autres plus générales. Tout d’abord, il faut essayer d’évaluer quelles peuvent être les idées directrices, le « référentiel » de pensée suivi par un homme seul pour engager des « réformes ».

En effet, pour agir de façon cohérente en politique et en économie, l’histoire nous apprend qu’il existe deux méthodes bien distinctes : le pragmatisme et l’idéologie.

C’est en vertu de ce premier concept qu’une bonne partie de la droite et une part croissante de la gauche envisagent aujourd’hui des réformes. C’est lui aussi qui pourrait faire naître une volonté de changement de la part du président Hollande. On imagine mal en effet à quelle idéologie pourrait se raccrocher le chef de l’État pour éviter de sombrer. Ce n’est certes pas celle, bien réelle, de la « gauche de la gauche » qui peut l’aider. Et il n’en a pas d’autre !

Quant au premier ministre, il était bien en quête d’une nouvelle idéologie lorsqu’il choisit le titre de son livre Pour en finir avec le vieux socialisme et être enfin de gauche. Malheureusement, l’ouvrage reste cantonné à des banalités sociales-démocrates, c’est à dire à un vaste courant politique davantage gouverné par le pragmatisme que par l’idéologie. Le seul courant de pensée un tant soit peu théorique que l’on peut raccrocher à la social-démocratie est le keynésianisme, c’est maigre.

Emmanuel Macron lui-même, malgré son parcours atypique vu du socialisme classique, parait peu enclin à s’appuyer sur une quelconque forme d’idéologie sociale-libérale tout simplement parce que celle-ci n’existe pas.

Le « socialisme libéral » de Monique Canto-Sperber, ne se distingue en rien de la sociale-démocratie dans la pratique. Sa réhabilitation sélective du libéralisme s’apparente à une tentative de récupération du mot libéral dans l’intention, plus ou moins consciente, de sauver le mot socialisme.

L’apport de Rawls est beaucoup plus intéressant mais considérablement brouillé par l’adhésion maladroite de l’auteur de Théorie de la justice à la sociale-démocratie. Rejeté par les socialistes et très mal compris des libéraux, il est politiquement méconnu en France. Il n’existe donc aucune théorie libérale de gauche, connue, publique, capable d’entraîner un mouvement politique ou de servir de pilote à un petit groupe de réformateurs.

La gauche n’a qu’un seul guide : l’idéologie marxiste plus ou moins réformée, qui indique au peuple que les droits de propriété existant sont « monstrueusement injustes » (suivant l’expression de Murray Rothbard).

Dans ce contexte, les sociaux-démocrates sont des « pragmatiques » qui composent avec l’injustice fondamentale du capitalisme dans le but utilitariste de créer plus de valeur. Il est évidemment impensable de mobiliser la jeunesse, toujours idéaliste, avec une telle tambouille idéologique.

« Être de gauche et de bon sens » parait donc clairement ranger Emmanuel Macron dans le camp des pragmatiques : on ne change rien au référentiel de pensée mais on va essayer d’appliquer des mesures de bon sens dans des buts précis : redresser l’économie, faire diminuer le chômage ; c’est le « pragmatisme », qu’Hayek oppose à l’idéologie dans le portrait suivant, extrait de Droit, législation et liberté :

(…) cette attitude à la mode de mépris pour l’«idéologie» et pour tous les principes généraux et mots en «isme», est caractéristique des socialistes déçus ; ayant été obligés d’abandonner leur propre idéologie à cause de ses contradictions internes, ils en ont conclu que toutes les idéologies doivent être erronées et que pour être rationnel il faut s’en passer. Mais il est impossible de se guider seulement, comme ils s’imaginent pouvoir le faire, par les objectifs explicitement définis que l’on se propose consciemment, en rejetant toutes les valeurs générales dont il ne peut être démontré qu’elles conduisent à des résultats concrets désirables. Se conduire uniquement par ce que Max Weber appelle la rationalité finalisée est une impossibilité. (…) Si l’on se met à intervenir, sans avoir de ligne de conduite cohérente, dans le fonctionnement de l’ordre spontané, il n’y a pratiquement pas de point auquel on puisse s’arrêter.

Dans un monde sans référent, l’idéologie est la seule manière de réformer. Lorsque Turgot engage ses réformes libérales en 1775, il n’a que la théorie pour se guider. Il ne peut copier sur rien ni sur personne. C’est la théorie économique naissante et l’influence des physiocrates qui lui dictent les mesures profondément réformatrices (restauration partielle de la liberté du commerce des grains, suppression de la corvée, abolition des jurandes), qui auraient pu sauver le royaume et Louis XVI. Ses ennemis annuleront toutes ses actions et chasseront les physiocrates de l’administration.

À l’inverse nous devons au pragmatisme du Général de Gaulle, dans sa relation avec les communistes au lendemain de la guerre, toutes les chaînes de Ponzi en phases terminales qui plombent la société et l’économie française contemporaine : paritarisme, retraite par répartition, affairisme étatique, mandarinat public, droit du travail, etc.

Aujourd’hui il y a deux manières de réformer ; la manière idéologique est absolument hors de portée d’un Emmanuel Macron, elle demanderait l’appui d’une école de pensée « de gauche », structurée, cohérente, capable d’établir une ligne directrice tournée vers la prééminence de la liberté des échanges, de la monnaie, de la construction, pour aboutir à une nouvelle nuit du 4 août ; reste donc la manière « pragmatique » qui ne peut rien faire de mieux que de copier « les autres » en appliquant leurs « recettes ».

Or qui sont ces voisins, amis, alliés, qui font mieux que nous et que nous devrions imiter ? L’Allemagne ? Ses dépenses publiques atteignent près de 45% de son PIB et elles augmentent. Les États-Unis ? Le poids du secteur public connaît une inflation galopante et se rapproche, avec une quinzaine d’années de retard, de celui de l’Europe. Le Japon ? Il est en quasi faillite avec une dette égale à 200% de son PIB. Les pays nordiques ? Outre le poids du public, leur hygiénisme malsain et leur rigorisme sociétal laissent peu de place à la liberté.

Le « redressement de la France » dans ce contexte serait donc de s’aligner sur le consensus mondial, à savoir : 50% de dépenses publiques (c’est vrai, c’est mieux que 57%), le retour à 3% de déficit, l’économie sous contrôle, le principe de précaution et l’hygiénisme physique et moral. Cet objectif déprimant ne mobilisera ni la jeunesse ni les intellectuels de gauche et ne réussira pas à calmer les sarcasmes de la droite étatiste.
Photo licence CC by Callixte. Cauchois

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