Comme beaucoup de militants d'Alternative Libérale j'ai distribué des
tracts pour les législatives et essayé d'accrocher le passant avec des phrases
simples. Comme tous les militants de terrain j'ai dû répondre à la remarque la
plus courante : Vous êtes nouveau. C'est quoi ce parti ? Vous êtes de
droite ou de gauche" ?
Répondre : "nous ne sommes ni
droite ni gauche, nous sommes des libéraux" est un franc repoussoir pour l'électeur non initié. Car en
nous déclarant adversaires de la droite et de la gauche nous nous déclarons les
adversaires de tout le monde. Merveilleuse position "maudite", romantique à
souhait mais totalement contre productive
Pour ma part à la question Vous êtes de
droite ou de gauche ? je réponds : il y a des libéraux de droite et des
libéraux de gauche mais le propre des libéraux c'est de ne pas vouloir
gouverner la société au nom d'une morale de droite ou d'une morale de
gauche.
Cette réponse "accroche" beaucoup plus car elle
remet moins en cause l'échelle de valeurs personnelles des individus tout en
les faisant douter et s'interroger sur la nature du pouvoir étatiste qui
consiste à gouverner au nom d'une morale contre les autres
morales.
Car tout le problème est là. Les libéraux n'ont
pas pour adversaires la droite et la gauche. Ils ont pour
adversaires les socialistes et les conservateurs (en France l'UM-P-S), ce qui
est sensiblement différent.
Je m'explique : Il est indéniable qu'il y a une
morale de droite et une morale de gauche. Au delà de la politique il y a une
vision du monde, de la famille, de l'éducation, du travail, qui sont propres à
la droite et à la gauche dans l'acception moderne de ces termes.
Les conservateurs sont ceux qui veulent imposer
une morale "de droite" à la société toute entière. Ils veulent gouverner au nom
de préceptes moraux "de droite" qui, à leur yeux, vont sauver la France et
amener la prospérité.
Les socialistes sont ceux qui veulent imposer
une morale "de gauche" à la société toute entière. Cette morale est la seule à
leurs yeux, capable d'apporter le bonheur au plus grand nombre.
Gouverner au nom d'une morale est exactement ce
que les libéraux ne veulent pas faire. Ce n'est pas une morale dogmatique et la
transcription de cette morale en droit positif qui vont amener la prospérité et
l'équilibre. Ce sont au contraire les décisions courageuses, les mesures
victorieuses, celles qui réussiront à redresser une situation et à amener la
prospérité et la paix qui deviendront "morales".
Chez les étatistes la morale, qu'elle soit, de
droite ou de gauche, vient d'en haut. C'est au nom de cette morale qu'on prend
des mesures et qu'on légifère. Chez les libéraux c'est tout le contraire. C'est
par l'étude des faits, par l'observation des usages qui s'établissent librement
entre les acteurs du marché que naissent les règles et le droit que l'Etat
devra faire respecter parce qu'ils sont source de prospérité.
Mais le fait de ne pas vouloir politiser sa
morale ne signifie pas que cette morale n'existe pas.
Sur les marchés, il y a des gens avec des
sensibilités de droite et d'autres qui sont de gauche. Il faut en tenir compte.
Il faut les écouter et il ne faut pas s'en faire des ennemis.
Au sein d'Alternative libérale il y a des
sensibilités de droite et de gauche qui font mieux que cohabiter, qui
construisent ensemble, ce qui est assez extraordinaire et ce qui fait
l'originalité de ce parti.
Car les morales de gauche et de droite
existent, même si, dans une optique libérale elles ont une portée politique
restreinte.
Ce que Karl Popper - libéral de gauche -
exprime bien mieux que je ne saurai le faire dans ces quelques lignes :
La seconde [proposition d'Aristote] revient à vouloir
étendre le domaine de la légalité, c'est-à-dire des normes imposées par l'Etat,
aux dépens de celui de la morale, c'est à dire des principes imposés par notre
conscience, ce qui conduirait à abolir la responsabilité individuelle et à
anéantir le sens moral au lieu de le développer. L'individualisme doit
s'opposer à cela en faisant valoir que la moralité des Etats, si tant est
qu'elle existe, est généralement inférieure à celle du citoyen moyen et qu'il
vaut mieux qu'elle soit contrôlée par les citoyens que l'inverse. Il faut
autrement dit, moraliser la politique et non politiser la morale.
Karl
Popper - La société ouverte et ses ennemis - Tome I - L'ascendant de Platon
"Il faut moraliser la politique et non
politiser la morale" C'est beau, Merci Karl !
1 De JPO -
Bonjour,
Oui, bravo Karl et bonne réflexion. En ce qui me concerne, je dis également qu'il y a des libéraux qui ont des valeurs de gauche et d'autre des valeurs de droite, mais pour ce qui concerne le libéral authentique, c'est celui qui "essaye de faire de la politique sans les mains". Aussi, je me permets de vous renvoyer à mon analyse pour compléter la vôtre: http://jean-paul-oury.neufblog.com/...
Bien à vous
2 De Aurel -
Excellente analyse. J'ai aussi tenu ce discours sur les marchés. Ensuite, il faut aussi assumer sa propre sensibilité de candidat.
Cela dit, notre image reste confuse, trop confuse. Sans revenir à la tendance droitière, surtout pas, une simplification de notre image me semble nécessaire sur le terrain autour de quelques thématiques essentielles.
3 De olyvyer -
Article intéressant sur "Qu'est-ce que le libéralisme?", en revanche le recours à des citations de Popper est perilleux.
Je te cite "C'est par l'étude des faits, par l'observation des usages qui s'établissent librement entre les acteurs du marché que naissent les règles et le droit que l'Etat devra faire respecter parce qu'ils sont source de prospérité."
- Je ne suis pas sûr que Karl serait d'accord avec toi:
1) tout d'abord concernant l'observation des faits, tu fais référence à une démarche inductive alors que Popper était un fervent partisan d'une démarche hypotético-déductive, où les hypothèses précèdent le discours.
2) sur la deuxième partie de la citation et la "(...) source de prospérité" : si tu pouvais démontrer cette affirmation j'en serai très heureux (et Karl aussi j'imagine). Popper a beaucoup travaillé sur l'épistémologie (la science qui étudie les sciences), et selon lui, un discours scientifique doit être réfutable...bref, tout ca pour dire que ta proposition sur la prospérité n'est pas très scientifique, car compte tenu de son degré de généralité elle n'est pas réfutable.
3) Toujours, sur cette même citation, tu fais implicitement référence aux théories évolutionnistes (sélection des meilleurs règles etc...) qui deviennent très limitées lorsqu'on les applique à des sociétés humaines. Car si dans le monde naturel, l'étude de l'évolution des espèces nous indiquent qu'il existe des mécanismes de sélection, personne ne choisit les règles qui régissent cette sélection: c'est d'ailleurs pourquoi l'on parle de sélection naturelle. Dans le cas de l'Etat sur quels critères, autre que par l'observation (d'autant que l'on doit choisir ce que l'on souhaite observer...), doit-il sélectionner telle ou telle règle comme source de prospérité ? Dans une conception libérale, j'aurais du mal à répondre.
Si l'on considère que le critère essentiel est celui de la liberté individuelle, on peut très bien assimiler la morale de droite et la morale de gauche comme des moyens de préserver cette dernière (avec plus ou moins de conservatisme, plus ou moins d'intervention de l'Etat etc...).
Il faudrait que tu nous en dises plus sur ce qu'est une morale libérale ?
4 De Archilibéral -
Bon article, mais je pense que les libéraux aussi agissent en vertu d'une morale. La philosophie libérale repose sur une certaine conception de la Liberté, sur une éthique de celle-ci et sur la prioritarisation de l'individu à la société... Je pense qu'il y a une morale libérale, moins restrictive que celle des conservateurs et des socialistes, mais néanmoins centrale dans les thèses approfondies du libéralisme. Reconnaître à son voisin une liberté individuelle aussi grande que la sienne est un choix moral (me semble-t-il). Au-delà de cela, dès que l'on porte un système de valeurs (responsabilité, égalité en droits, liberté, propriété privée, justice, limitation des pouvoirs d'Etat), ne l'érige-t-on pas forcément en morale, même plus ouverte ?
5 De alcodu -
Olyvyer,
J'ai pourtant l'impression d'être en phase avec Popper car ce que tu cites en 1) est la vision du Popper, épistémologue. Or Popper démontre et insiste sur le fait que les sciences sociales n'ont rien de comparable avec les sciences physiques. Je le cite : "Cette absence de différenciation entre les lois juridiques, ou les normes, d'une part, et les lois naturelles et les phénomènes réguliers de l'autre est caractéristique de l'interdit tribal..."
Faire de l'histoire ou de la politique une science prédictive c'est précisemment ce que Popper dénonce chez Platon ou Hegel.
En revanche Popper oppose aux historicistes "l'ingénieur social". Il "a une vision rationnelle des institutions... Il les juge uniquement du point de vue de leur adaptabilité, de leur efficacité ou de leur simplicité".
Sur les points 2) et 3) je crois qu'il y a incompréhension car je n'ai pas du tout l'intention de tenir un discours "scientifique". Je n'ai pas l'impression de faire référence aux théories évolutionnistes tout simplement car, comme tu le soulignes, la sélection des règles n'est pas opérée par la nature mais par la raison. D'autre part c'est aussi la raison humaine et non le hasard qui élabore l'écheveau des règles, des usages, des contrats, et des institutions.
Comparer les différentes politiques de l'emploi en Europe et décider que l'exemple Danois est intéressant car il a considérablement réduit le chomage ce n'est pas de l'évolutionnisme, c'est tout simplement rationnel. La source de prospérité est ici aisément mesurable. Un libéral considérera donc que la règle qui donne les meilleurs résultats devient "morale".
La gauche, elle, considère que licencier c'est immoral. Elle dresse donc des obstacles pour empêcher les entreprises de licencier. Elle fige le marché du travail. Elle pénalise les entreprises. Elle crée du chômage au nom de sa morale. C'est la mécanique de la morale imposée et du droit "positif".
6 De alcodu -
Archiliberal,
On peut effectivement appeler ça une morale mais je préfère utiliser le terme éthique libérale pour nous distinguer, nous libéraux, de la droite et de la gauche étatistes. Ce sont la droite et la gauche qui abusent de leurs morales, qui veulent obstinément les imposer aux autres.
Si on réfléchit bien aux valeurs libérales que tu cites fort justement : responsabilité, égalité en droits, liberté, propriété privée, justice, limitation des pouvoirs d'Etat. Quelles sont celles qui sont coercitives ? La liberté ne l'est évidemment pas. Dans une société libérale un groupe peut parfaitement décider de s'auto-priver de liberté. Idem pour la propriété : le kibboutz est une communauté où l'on ne possède rien qui répond parfaitement à l'ethique libérale. Idem pour l'égalité en droit, on peut toujours renoncer à exercer un droit. De même, la limitation des pouvoirs de l'Etat n'empêchera pas ceux qui le désirent d'être entièrement pris en charge au sein d'une cellule privée qui prélèvera par exemple soixante pourcent de leurs revenus pour s'occuper de tout à leur place (tiens, ça c'est une bonne idée de business dans la future société libérale !).
Les seules valeurs coercitives de la société libérale sont finalement la responsabilité – on n'y échappe jamais – et le passe-droit ou le droit préférentiel qui sont interdits.
La justice s'applique à toutes les sociétés qu'elles soient ouvertes ou fermées. C'est donc une valeur censée être neutre du point de vue de la morale, une fois le droit établi. A condition qu'elle soit indépendante, bien sûr.
Si le libéralisme est une morale, elle est vraiment très "light" cette morale.
Si on examine les valeurs morales de droite : l'effort, le travail, le mérite, la récompense, le devoir, l'amour de la Patrie, la religion, la famille, la charité, la responsabilité, la rigidité des moeurs,
et celles de gauche : l'effort, le travail, le mérite, l'égalitarisme, l'assistanat, le partage, la prééminence obligatoire de la citoyenneté sur toute autre forme de communauté, le holisme (avec comme corolaire l'irresponsabilité), la liberté des moeurs.
Ont est frappé par leur niveau de coercition induite – sans commune mesure avec les règles simples de l'éthique ou de la "morale" libérale.
La différence est en fait tellement grande qu'il vaut mieux - à mon avis - dans un cas parler de morale et dans l'autre d'éthique.
Bien entendu la société libérale tolérera toutes les morales pourvues qu'elles ne soient pas impérialistes, qu'elle ne prétendent pas devenir des méthodes de gouvernement. A chacun sa morale, mais dans la sphère privée.