De l’esprit de conquête - Benjamin Constant - 1814

De l’esprit de conquête et de l’usurpation dans leurs rapports avec la civilisation européenne

Extraits du texte écrit par Benjamin Constant en Allemagne, en 1813, un an avant l’abdication de Napoléon

Toute ressemblance avec des personnes ou des situations ayant existé ne saurait être que fortuite

Première partie : De l’esprit de conquête

CHAPITRE II

[…]
Nous sommes arrivés à l'époque du commerce, époque qui doit nécessairement remplacer celle de la guerre, comme celle de la guerre a du nécessairement la précéder. La guerre et le commerce ne sont que deux moyens différents d'arriver au même but, celui de posséder ce que l'on désire. Le commerce n'est autre chose qu'un hommage rendu à la force du possesseur par l'aspirant à la possession. C'est une tentative pour obtenir de gré à gré ce qu'on n'espère plus conquérir par la violence. Un homme qui serait toujours le plus fort n'aurait jamais l'idée du commerce. C'est l'expérience qui, en lui prouvant que la guerre, c'est-à-dire l'emploi de sa force contre la force d'autrui, est exposée à diverses résistances et à divers échecs, le porte à recourir au commerce, c'est-à-dire, à un moyen plus doux et plus sûr d'engager l'intérêt des autres à consentir à ce qui convient à son intérêt.

 

La guerre est donc antérieure au commerce. L'une est l'impulsion sauvage, l'autre le calcul civilisé. Il est clair que plus la tendance commerciale domine, plus la tendance guerrière doit s'affaiblir.

[...]

Le commerce, a modifié jusqu'à la nature de la guerre. Les nations mercantiles étaient autrefois toujours subjuguées par les peuples guerriers. Elles leur résistent aujourd'hui avec avantage. Elles ont des auxiliaires au sein de ces peuples mêmes. Les ramifications infinies et compliquées du commerce ont placé l'intérêt des sociétés hors des limites de leur territoire : et l'esprit du siècle l'emporte sur l'esprit étroit et hostile qu'on voudrait parer du nom de patriotisme.

CHAPITRE XIV.

La force nécessaire à un peuple, pour tenir tous les autres dans la sujétion, est aujourd'hui, plus que jamais, un privilège qui ne peut durer. La nation qui prétendrait à un pareil empire se placerait dans un poste plus périlleux que la peuplade la plus faible. Elle deviendrait l'objet d'une horreur universelle. Toutes les opinions, tous les vœux, toutes les haines la menaceraient, et tôt ou tard ces haines, ces opinions et ces vœux éclateraient pour l'envelopper. Il y aurait sans doute dans cette fureur, contre tout un peuple, quelque chose d'injuste. Un peuple tout entier n'est jamais coupable des excès que son chef lui fait commettre. C'est ce chef qui l'égare, ou, plus souvent encore, qui le domine sans l'égarer.

[...]

CHAPITRE XV.

Les nations commerçantes de l'Europe moderne , industrieuses, civilisées, placées sur un sol assez étendu pour leurs besoins, ayant avec les autres peuples des relations, dont l'interruption devient un désastre , n'ont rien à espérer des conquêtes. Une guerre inutile est donc aujourd'hui le plus grand attentat qu'un gouvernement puisse commettre : elle ébranle, sans compensation, toutes les garanties sociales. Elle met en péril tous les genres de liberté, blesse tous les intérêts, trouble toutes les sécurités pèse sur toutes les fortunes, combine et autorise tous les modes de tyrannie intérieure et extérieure.

[...]

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