Les fonctionnaires, comme les prêtres, ont un rôle moral, ils œuvrent pour le
bien public et sont investis d'une responsabilité particulière. Leur mission
fait appel à la vocation et à une certaine notion de sacrifice. Si le
curé sauve les âmes en priant pour le salut de tous, le fonctionnaire agit pour
la communauté et, depuis quelque temps, pour les "générations futures", forme
d'au-delà et manière d'accéder à une rédemption républicaine.
Comme le clergé, les fonctionnaires sont chargés d'une "mission". Les syndicats
ne se trompent d'ailleurs pas sur le choix des mots, lorsqu'ils réclament plus
de moyens pour le service public, ce n'est pas pour obtenir de meilleures
"conditions de travail" comme dans le privé, non, c'est pour pour pouvoir
exercer leur "mission de service public" dans de meilleures conditions. Car les
fonctionnaires, comme les curés, ne travaillent pas : ils "exercent une
mission", qui sans être divine est collective et publique.
Il est frappant de comparer le champ d'action de la fonction publique avec
celui du clergé dans la société d'ancien régime. Dans chaque diocèse l'évêque
avait une charge politique qui allait bien au delà de son rôle spirituel. Sous
sa direction le clergé prodiguait l'enseignement, les soins aux malades
incluant, la gestion des hôpitaux, l'assistance aux plus démunis et parfois la
justice. Il s'occupait également des mariages et des actes d'état civil. Bien
sûr l'Etat républicain a largement étendu ces prérogatives en y ajoutant les
transports au sens large, les médias, la recherche, les jeux, la culture, et
l'armée qui était autrefois réservée à la noblesse. Mais la grande masse des
fonctionnaires accomplit bien les tâches anciennement dévolues au clergé.
Tout en étant un ordre privilégié, le clergé était un ordre ouvert qui servait
d'ascenseur social. Un roturier de naissance pouvait accéder à un certain
niveau de la hiérarchie cléricale. La fonction publique joue parfaitement ce
rôle en ouvrant largement ses portes aux enfants d'immigrés et aux couches les
plus basses de la société républicaine, attirés par la stabilité de l'emploi et
par le statut social qu'elle confère. Comme le clergé les fonctionnaires ne
constituent pas un ordre comparable à la noblesse puisque leurs privilèges ne
sont pas transmis automatiquement par le sang.
Comme les prêtres, les fonctionnaires sont employés à vie c'est à dire payés
par leur ordre. Ils ne prononcent pas de vœux mais leur vocation se manifeste
clairement dans le choix d'une filière et le passage de concours
administratifs. Cet emploi à vie, fait d'ailleurs partie des nombreux
privilèges qui distinguent l'administration de la société civile.
Autre similitude frappante, le rapport à l'argent et à la réussite. Les deux
ordres méprisent ouvertement les entrepreneurs, les "marchands" et surtout les
financiers. Les bourgeois et les riches marchands sont pour le clergé comme
pour les fonctionnaires un mal nécessaire qu'on ponctionne au moyen de l'impôt
tout en critiquant sa faible moralité. Le monde n'est pas une marchandise !
s'exclament les porte-paroles de la fonction publique. Ils déclinent d'ailleurs
cette phrase dans tous les domaines où leur influence est prépondérante : la
culture n'est pas une marchandise, la santé n'est pas une marchandise ...
Si les religieux étaient amenés à prononcer des vœux de pauvreté, ils n'étaient
pourtant pas les plus à plaindre dans la société d'ancien régime. A la veille
de la révolution un curé avait un revenu comparable à celui d'un bourgeois
moyen. Le clergé prélevait ses revenus par la dime, impôt sur le revenu qui lui
était intégralement reversé. Les vicaires étaient logés et nourris par le curé
et touchaient une petite pension. Aujourd'hui les fonctionnaires conservent
l'image d'une catégorie mal payée. L'emploi à vie serait obtenu en
échange de salaires inférieurs à ceux de la société civile. Si cette
affirmation est vraie pour certains petits fonctionnaires ou pour certains
enseignants, elle est globalement fausse dans l'ensemble puisque les salaires
moyens de la fonction publique dépassent de près de 12% la moyenne des salaires
du privé, salaires des PDG compris.
On retrouve également dans la société contemporaine la distinction qui existait
à la veille de la révolution entre le bas clergé et le haut clergé, à savoir la
masse des petits et moyens fonctionnaires, et les hauts fonctionnaires. Ces
derniers ont leurs écoles et filières réservées, polytechnique et l'ENA, ils
dirigent Bercy, occupent les ministères et font des séjours épisodiques dans
les grandes sociétés du capitalisme d'État. ils sont logés par la république,
se voient attribuer des voitures avec chauffeur, parfois du personnel de maison
et des agents de sécurité. La perméabilité entre ces deux sous ordres est très
faible comme l'était celle entre le haut clergé qui recrutait ses membres parmi
la noblesse et le bas clergé dont le recrutement était largement ouvert.
L'une des similitudes les plus profondes et les plus étonnantes entre les deux
ordres, réside dans le Droit spécifique qui les régit et qui les distingue de
la société civile. On aurait pu penser que l'égalité en droit entre tous les
citoyens était acquise dans la société républicaine, pourtant les
fonctionnaires ont leur droit du travail, leur droit administratif, leurs
prestations sociales et leur retraite. Les célèbres "régimes spéciaux" des
fonctionnaires, largement plus avantageux - et déficitaires - que ceux du privé
ne semblent pas prêts de disparaître. Comme l'Église avec ses "officialités",
l'administration possède ses propres tribunaux où elle juge ses fonctionnaires.
Ainsi un mécanicien ou un enseignant du secteur public qui commet une faute
professionnelle n'est pas jugé par les mêmes tribunaux que le même mécanicien
ou enseignant du privé.
Autrefois les missionnaires étaient chargés de convertir les peuples des
territoires d'outre mer à la foi chrétienne. Il fallait donner une caution
morale à l'invasion de leurs territoires, Aujourd'hui une administration
pléthorique tente de convertir les DOM TOM à la providence républicaine. La
méthode est à peu près la même et dans les deux cas, le succès n'est pas à la
hauteur des efforts déployés.
A la veille de la révolution le clergé comptait environ 130 000 membres. De nos jours les fonctionnaires sont entre 5 et 6 millions suivant les sources. C'est là une différence importante qui rend certains pessimistes sur la possibilité de revenir à une société ouverte et égalitaire en droit. L'État providence aurait rendu trop de personnes dépendantes de ses faveurs.
Et pourtant, les fonctionnaires portent en leur seing des talents
remarquables. Ceux, nombreux, qui sont compétents et dévoués à leur tâche,
n'apprécient pas le système politique qui les sépare du reste de la société.
D'ailleurs les auteurs libéraux sont souvent des enseignants du système
public.
Alors rien n'est perdu, souvenons nous que ce sont les jésuites qui ont formé
les philosophes des lumières et œuvrons à une nouvelle nuit du 4 août,
révolutionnaire et pacifique.
1 De alcodu -
Article paru sur Agoravox, ici.
Voir le commentaire intéressant de DTHEV, là.
2 De tetatutelle -
"Une nouvelle nuit du 4 août"
Celle-ci n'aurait-elle déjà pas eu lieu, en ce fameux jour "de l'An de grâce du 15 juin 2003" où tant de personnes manifestaient pour la réforme de notre système de retraite derrière une fameuse "révolutionnaire" association du nom de "Liberté, j'écris ton nom" ?!........Seule différence, cet évènement ne s'est pas déroulé "la nuit" mais "la journée" (détail sans importance).
Parlons donc désormais de "La journée du 15 juin" !