Les Droits de l'Homme de 1789 et ceux de 1948

Le discours politique actuel, tel qu'il émane des partis ou des médias, utilise les termes "Droits de l'Homme" en agrégeant dans un même concept les Droits de l'Homme de 1789 et les Droits de l'Homme de 1948. Pour le spectateur politique contemporain, peu averti de l'histoire des idées, la déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1948 apparait comme une amélioration et un enrichissement de celle de 1789.  On pense généralement que des idées communes y sont exposées de façon plus détaillée et réparties dans des articles plus nombreux. Aux yeux du public il s'agit donc de la même déclaration, rendue "universelle" par l'engagement des grandes puissances, tel qu'il figure dans son préambule, "d'en assurer, par des mesures progressives d'ordre national et international, la reconnaissance et l'application universelles et effectives".

Comme nous allons le voir, tout ceci est erroné et les deux Déclarations des Droits de l'Homme sont extrêmement différentes dans leur forme et dans leur esprit, même si la similitude de leur présentation laisse croire le contraire

Commençons par examiner la DDH de 1789 dans tout ce qu'elle a d'inédit et de subversif.

Rédigée en 1789, la DDH est l'expression de la philosophie des lumières. Elle constitue un véritable manifeste libéral (même si le mot n'existait pas à l'époque). Elle énonce les principes qui devaient guider la première révolution française dans son abolition des privilèges tant politiques qu'économiques.

Première remarque absolument fondamentale si l'on veut comprendre l'esprit de la DDH de 89 c'est que les Droits qui y sont exposés sont reconnus par les représentants du peuple français. Ceci est explicite dans la dernière phrase de son préambule : "l’Assemblée nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Être Suprême, les droits suivants de l’homme et du citoyen."
Pour la première fois depuis quatre mille ans des Droits ne sont pas promulgués par le pouvoir mais reconnus par lui. Le pouvoir temporel se place donc dans un état de sujetion, d'obéissance, de dépendance par rapport à des Droits dit "naturels" qui sont antérieurs à toute législation. D'ailleurs le préambule de la déclaration est d'emblée accusateur et méfiant vis à vis du pouvoir :  considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des Gouvernements, ...

Deux cent vingts ans après, cette humilité du législateur face aux Droits naturels des Hommes demeure toujours aussi révolutionnaire. Comme on le verra plus loin, cette disposition d'esprit n'existe pas dans la Déclaration Universelle, elle est également gommée par les pouvoirs politiques de nos démocraties modernes qui toutes s'attribuent la source du Droit.

Le préambule de la DDH de 89 fait explicitement référence aux "droits naturels, inaliénables et sacrés de l’homme" que les "Représentants du Peuple Français" ont résolu "d’exposer", dans une "Déclaration solennelle". Là aussi les Droits ne sont pas promulgués, ou décrêtés mais seulement  "exposés". Les termes "Droits naturels" sont repris dans les articles II et IV.

Il est rare qu'un texte législatif se fasse menaçant à l'égard du pouvoir. Cela n'aurait d'ailleurs aucun sens si la source du Droit n'était pas reconnue extérieure au texte lui-même. C'est cela qui fait le caractère exceptionnel de cette DDH de 89 qui dans son préambule et dans plusieurs articles menace les pouvoirs législatifs et exécutifs de sanctions : Art V La Loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société. Art VII  Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires, doivent être punis ; Art VIII La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ; Art. XV La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration.
Enfin parmi les droits naturels et imprescriptibles de l'homme figure, Art II,  la résistance à l'oppression.
Autant d'articles qui ont toujours force de loi dans notre constitution même s'il sont continuellement bafoués par le pouvoir.

Autre caractéristique essentielle de cette DDH de 89, c'est qu'elle établit une distinction entre les Droits de l'Homme et les Droits du Citoyen. Pour la première fois dans l'histoire un texte reconnait que les Hommes ont des droits distincts de ceux du citoyen. Cette distinction est fondamentale et absolument révolutionnaire car pour la première fois il ne s'agit  plus de légiférer pour déterminer le comportement des hommes entre eux ou par rapport à une autorité supérieure (divine, royale ou même républicaine), mais de reconnaître les droits imprescriptibles propres à chaque être humain.  L'Homme devient donc un individu souverain, dotés de Droits que, ni la collectivité, ni l'Etat ni même la religion ne peuvent lui contester ou lui retirer.
C'est contre ce prodigieux concept libéral, qui permettait enfin aux individus de s'affranchir politiquement de la tribu, du clan, de la corporation,de la caste et dans une certaine mesure de la famille, que s'élèveront tous les collectivistes, et notamment Marx.

Il faut bien comprendre que les Droits énoncés dans la DDH de 89 n'ont été ni votés ni promulgués. Ce qui a été voté le 26 août 1789 c'est simplement le contenu, la forme du texte qui les reconnaissaient.  La DDH de 89 ne résulte donc pas  de la volonté d'un législateur, d'un consensus ou d'une négociation. Les Droits de l'Homme existent et les représentants du peuple français ont simplement reconnu et exposé cette existence ce 26 août 1789.

On établit parfois une filiation entre la DDH de 89 et la Magna Carta de 1215 parce que ce texte accordait certaines garanties et libertés aux citoyens. C'est aller un peu vite en besogne car contrairement à la DDH de 89, la Magna Carta est un simple texte de droit positif inspiré au baronnage anglais par les excès de pouvoir et l'arbitraire royal. La Magna Carta ne reconnait pas des Droits aux Hommes, elle les promulgue, ce qui très différent puisque le pouvoir peut parfaitement décider de les lui retirer dans l'avenir.

Comme nous le verrons dans un prochain article, la DUDH de 1948 a intégralement perdu le côté révolutionnaire de la DDH de 89 pour se rapprocher étrangement de l'esprit de la Magna Carta, à savoir une charte où les puissants de ce monde décident d'accorder des Droits aux Hommes pour les "protéger". Il y a là une terrible régression, un recul de sept cents ans.

Photo flickR licence CC par Hotels Paris Rive Gauche

Haut de page