Les dirigeants grecs iront-ils en prison ?

Pour une société commerciale, la faillite se définit comme l’impossibilité à un moment donné d’honorer ses créances. Il y a défaut de trésorerie donc cessation de paiement.
C’est une situation très improbable pour les États-nations puisqu’ils peuvent, soit directement ponctionner le peuple en levant plus d’impôts et de taxes, soit emprunter sur les marchés avec la caution que représente ce pouvoir coercitif de création de nouveaux impôts. Les comptes de l’État français sont ainsi en déficit depuis 35 ans sans faillite, ce qui est impossible pour une société privée. Bien entendu cette mécanique a ses limites qui sont de trois ordres :

Premièrement lorsque le niveau de l’imposition devient intenable il y a un risque d’effondrement de l’économie. Faillite des entreprises, donc chômage et baisse des rentrées d’impôt. La France n’est pas très éloignée de cette situation avec un secteur marchand de plus en plus réduit qui sert de vache à lait à l’ensemble de l’économie, et un État dont les dépenses croissent sans cesse pour atteindre, selon les dernières estimations, 56% du PIB. La Grèce elle n’est pas dans cette situation.

Deuxièmement lorsque l’État, pour des raisons de corruption ou de désorganisation, est incapable de collecter ses impôts. Nous sommes là dans le cas de l’État grec, comme l’ont relevé les observateurs internationaux.

Troisièmement lorsque l’État, très endetté, sème le doute sur sa capacité à honorer ses remboursements. Dans ce cas les taux vont augmenter pour couvrir ses risques de défaillance. Dans le contexte grec, les taux à long terme ont récemment grimpé à près de 12 %. La charge de remboursement de la dette devient donc mécaniquement insoutenable. Le niveau de risque augmente avec un risque d’emballement des taux, voire l’impossibilité totale d’emprunter (credit hold).

La Grèce se trouve donc dans les situations numéro deux et trois : les impôts rentrent mal et l’emprunt est quasi impossible en raison de la défiance du marché. Pour le marché, l’État Grec est donc bel et bien en faillite. Son sauvetage ne pourra avoir lieu artificiellement qui si d’autres États, ayant une meilleure côte vis à vis du marché, acceptent de lui prêter à des taux anormalement bas. (ce qui pourrait d’ailleurs s’analyser comme une faute grave de gestion).

Dans une société privée, SA ou SARL, les dirigeants peuvent être poursuivis après une faillite tant sur le plan civil que sur le plan pénal. Au civil, un des motifs qui engage la responsabilité des dirigeants est : «  la poursuite abusive dans un intérêt personnel, d’une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu’à la cessation des paiements. » Les juges peuvent dans ce cas, étendre la faillite de l’entreprise à ses dirigeants.

Plus généralement en cas de «  fautes graves et caractérisées ayant contribué à la faillite », le tribunal peut prononcer à l’encontre de tous les dirigeants impliqués une interdiction d’exercer directement ou indirectement une activité commerciale ou d’occuper une fonction de direction. En cas d’insuffisance d’actif, le tribunal peut également décider que « les dettes seront supportées, en tout ou en partie, avec ou sans solidarité, par les dirigeants, de droit ou de fait, rémunérés ou non. »

Au pénal on retiendra principalement l’abus de bien social et la non présentation des comptes. Parmi les dispositions pénales du code du commerce on peut citer l’article L241-3 : «  Est puni d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 375 000 euros : (3e) Le fait, pour les gérants, même en l’absence de toute distribution de dividendes, de présenter aux associés des comptes annuels ne donnant pas, pour chaque exercice, une image fidèle du résultat des opérations de l’exercice, de la situation financière et du patrimoine à l’expiration de cette période en vue de dissimuler la véritable situation de la société . »

Ces saines dispositions fonctionnent correctement pour les PME, c’est à dire pour le vrai capitalisme concurrentiel. Elles fonctionnent nettement moins bien pour les grandes sociétés par action qui sont à mi chemin entre le secteur privé et le secteur public (capitalisme de connivence ou capitalisme politique), enfin elles sont juridiquement inapplicables au secteur public, et aux États qui peuvent être gouvernés et gérés absolument n’importe comment, sans que la moindre sanction puisse être envisagée contre leurs dirigeants. Pourtant, plusieurs des infractions énumérées ci-dessus "collent" parfaitement à la situation grecque.

Il faut remarquer qu’aucun des responsables des grands pays industrialisés et notamment des partenaires européens de la Grèce ne demande de sanctions contre les dirigeants Grecs. Les politiques se préoccupent beaucoup plus de détourner l’attention vers les banques d’affaire et les agences de notation que de faire le ménage en leur sein ou d’établir de réels contre-pouvoirs à leur propre délinquance financière et monétaire.

La communauté internationale a tout juste rendu possible la condamnation de leurs dirigeants les plus sanguinaires ou génocidaires, mais de l’eau passera sous les ponts avant qu’un chef d’État ou un gouvernement soit condamné pour banqueroute.

L’irresponsabilité des États-nations et la confiance aveugle que le peuple continue à leur vouer laissent pantois. Alors que le vrai capitalisme concurrentiel se régule et se police très efficacement c’est, comme d’habitude, le "marché" qui va être désigné comme bouc émissaire de la crise étatique, dans la suite logique de ce qui s’est passé pour les "subprimes".

Les dirigeants Grecs n’iront donc pas en prison.

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