Voici effectivement le fond du problème. La démocratie directe n'est
acceptable que si elle respecte des principes constitutionnels qui,
inévitablement, font plus ou moins explicitement référence à nos droits de
l'homme de 89. Il lui faut ainsi respecter les principes de liberté, article IV
: "La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi
l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui
assurent aux autres Membres de la Société, la jouissance de ces mêmes droits.".
Il lui faut aussi respecter les limites impartie à la loi elle-même, article V
: "La Loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la
Société."
Le but de ces dispositifs constitutionnels est d'empêcher la dictature de la
majorité. Même si 95 % des suisses étaient favorables à ce que toutes les
voitures soient bleues, les 5% restant peuvent légitimement s'opposer à
une loi les obligeant à peindre leur voiture en bleu tout simplement parce que
rouler dans une voiture blanche ou verte ne nuit, ni aux droits d'autrui ni à
la société.
Dans cette optique, construire des minarets ne nuit nullement aux droits des
Suisses non musulmans donc les Suisses n'ont tout simplement pas le Droit
naturel de s'opposer à leur construction. Ce qui doit être remis en question,
ce n'est pas la démocratie directe, c'est la question posée.
Ceci dit, la réaction du peuple suisse est-elle aussi incohérente et
caricaturale que notre exemple des voitures bleues ? La faiblesse
du raisonnement développé par Daniel Cohn-Bendit dans le reste de
l'article nous permet d'en douter.
Examinons tout d'abord cette curieuse, mais significative affirmation : "la
démocratie directe ne doit pas être le prétexte pour s'en prendre à une
communauté et la blesser. "
Pourquoi la loi exprimée sous la forme de la démocratie directe n'aurait-elle
pas le droit de "s'en prendre à une communauté et la blesser" ? Les
lois sur l'avortement, la contraception et bientôt le mariage homosexuel s'en
prennent bien à la communauté catholique et la "blessent".
En fait, ce que Cohn-Bendit exprime mal ici, c'est que la loi, ne peut
directement et exclusivement viser une communauté. La loi doit avoir
une portée générale. Ainsi la règlementation sur l'avortement ne vise aucune
communauté, même si elle en blesse plusieurs, par contre l'interdiction des
minarets vise exclusivement une communauté. C'est une décision arbitraire
puisque les minarets ne sont pas dangereux en eux-mêmes. Si on estime que
la religion musulmane est dangereuse ou qu'elle viole le droit, alors, il faut
l'interdire. Interdire les minarets est une décision tout simplement
ridicule.
Plus loin, Cohn-Bendit essaye d'expliquer le vote des Suisses par une erreur
d'appréciation sur la dangerosité des musulmans : "Les Suisses ont voté
comme le feraient sans doute une bonne partie des Européens : avec l'angoisse
vis-à-vis de l'islam rivée au corps, avec en tête les images des
attentats-suicides au Pakistan et en Afghanistan. [...] C'est toute la
difficulté de l'islam, dont la réalité est aujourd'hui défigurée par des petits
groupes extrémistes ultra-violents."
Que la majorité des musulmans soit pacifique nous n'en doutons pas, mais que
les islamistes soient assimilés à de "petits groupes extrémistes"
voilà un incroyable déni de réalité qui confortera certainement les
Suisses et beaucoup de Français dans cette très mauvaise réponse à un vrai
problème que constitue l'interdiction des minarets. Car la mouvance islamiste
ce ne sont pas de "petits groupes extrémistes", ce sont des pays
entiers plongés dans la guerre et la misère, ce sont des massacres
épouvantables en Algérie, en Afghanistan, en Irak, au Soudan, et ce sont les
attentats sur le sol européen et aux États-Unis au nom de la guerre
religieuse.
Nier ce phénomène et ne pas le relier à la religion musulmane et à une
interprétation du Coran relève de l'aveuglement et de l'inconscience.
Dès lors, quelle était la bonne question à soumettre ? Quelle
question fallait-il poser au peuple suisse qui soit à la fois respectueuse des
droits de l'homme, et qui soit de nature à calmer les esprits tout en montrant
une vraie fermeté à l'égard des extrémistes ?
Les deux principes fondamentaux que la société civile, donc l'État doivent
exiger de toutes les religions sont le droit d'apostasie (le fait de
pouvoir librement quitter une religion) et le renoncement à toute forme
d'action violente. On pourrait donc imaginer la question suivante :
Êtes vous, oui ou non, pour que toute organisation religieuse établie en Suisse
doive publiquement adopter et faire adopter à ses fidèles le droit d'apostasie
et le renoncement à toute forme d'action violente, à défaut de quoi elle
pourrait se voir interdire la construction et la disposition de ses lieux de
culte ?
La question de l'apostasie fut d'ailleurs posée en France lors de la création
du CFCM (Conseil Français du Culte Musulman) et le ministre de l'Intérieur de
l'époque, un certain Sarkozy Nicolas, s'est bien gardé d'imposer la liberté
d'apostasie dans la charte du CFCM suite aux pressions des plus intégristes
parmi les organisations fondatrices.
Or, poser de manière claire la question de la liberté religieuse est loin d'insulter la pratique cultuelle. C'est au contraire l'insérer de manière ouverte au sein de la société démocratique et de ses libertés constitutionnelles.
1 De David -
Excellent !
2 De LOmiG -
oui, excellent article.
Et effectivement, la vraie question permettant de séparer le bon grain de l'ivraie, est la question de droit à l'apostasie permettant de distinguer les religions des sectes.
Le Centre Européen de la Fatwa et de la Recherche qui émane de l’UOIE, elle-même maison-mère européenne de l’UOIF, dont fait partie Radaman, a refusé d’abroger la condamnation à mort en cas d’apostasie de l’islam en 1999 en France.
Cette question s'est donc posée aux responsables musulmans, et ils se sont prononcés. Il faut leur reposer la question, de manière plus explicite et plus impliquante, à mon sens.
3 De Dabu -
Je reviens sur cette phrase :
<< Si on estime que la religion musulmane est dangereuse ou qu'elle viole le droit, alors, il faut l'interdire. >>
Je ne pense pas qu'on puisse ou qu'il faille interdire une "religion" en tant que telle. Parlons plutôt d'organisations religieuses qui acceptent ou pas les principes que vous défendez dans votre texte. Elles et elles seules pourraient être interdites.
4 De emmanuel -
"le fait de pouvoir librement quitter une religion" et " le renoncement à toute forme d'action violente" : a-t-on besoin d'une votation pour cela ? La loi interdit toute action violente de toute façon, et cette même loi protège les apostats car elle protège la liberté de conscience.
Je suis d'accord cependant : cet article (au moins le début) est excellent car personne ne pose la vraie question, celle du respect des libertés au nom des droits de l'Homme, respect qui doit toujours primer, quelles que soient les émotions populaires.
5 De alcodu -
Dabu,
Vous avez bien raison, et ce n'est pas un libéral qui vous contredira : il est illusoire et vain d'interdire une religion car ni la foi ni la pensée ne sont controlables (fort heureusement).
Merci donc pour cette correction rigoureuse.
6 De alcodu -
Oui Emmanuel, la loi impose effectivement le renoncement à toute forme d'action violente. Mais certaines autorités religieuses, suivies en cela par certains fidèles, considèrent la loi religieuse comme supérieure aux lois séculières.
Le dispositif objet de cette question leur demande donc de reconnaitre la prééminence des lois temporelles sur ces deux points fondamentaux.
C'est finalement l'obligation de prendre position qui est importante.
7 De emmanuel -
Nous sommes d'accord sur le fond, Alcodu, mais je maintiens qu'il n'y a pas besoin de référendum. Laissons cela aux "constructivistes" de tout poil !
Des catholiques s'engagent dans des commandos anti - IVG : ils considèrent que la loi de leur Dieu est supérieur à celle des hommes. Qu'on mette ces gens en prison et on n'en parle plus. idem pour les musulmans intégristes qui ont la même façon de penser.
Certains commentateurs distinguent le "bon" islam du "mauvais". Qu'est-ce que cela signifie ? Le salafisme, le catholicisme traditionaliste, le judaïsme orthodoxe ne sont pas mon affaire, cela le devient si il y a appel au meurtre, ou violence. Ce sont les actes que l'on doit juger, et pas les intentions supposées.
8 De tetatutelle -
"Certains fidèles considèrent la loi religieuse comme supérieure aux lois séculières".
C'est bien embarassant et bien que protestante praticante je le déplore également ! C'est néanmoins UN VERITABLE PROBLEME quand le livre religieux passant encore pour le moins sectaire, à savoir "la Bible", déclare que "il vaut mieux obéïr à Dieu qu'aux hommes" ! Chaque jour et ni'mporte quand le croyant peut être mis devant "des choix bien embarassants" !... Ex tout simple : que doit faire une "secrétaire chrétienne" à qui son employeur demande de répondre au téléphone que soit-disant "il n'est pas là" ?........La Bible est "on ne peut plus claire sur ce point : tu "ne mentiras pas" ! Alors ?......
9 De SauSau YaYa -
Vous avez complètement éclairé ma lanterne avec cet article! Soyez "béni"!!!
Trève de plaisanterie... Etant citoyen suisse et m'étant prononcé contre cette initiative, j'en étais un détracteur (à mon échelle, bien évidemment...) de la première heure, moi qui me tâte souvent lors des votations. Je pensais bien qu'on aurait dû empêcher les citoyens de se prononcer de manière aussi tranchée et imprécise sur une question comme celle-ci. Mais je ne trouvais pas d'alternative intéressante, et je me tournais à défaut vers le mal-nommé "débat sur l'identité national", dont le caractère discursif avait au moins, en lui-même, du bon... Mais, comme le font remarquer (au cours d'une développement qui tient bien la route) les commentateurs ci-dessus, le prononcement d'un bloc sur une religion (même du point de vue de sa pratique quotidienne) ne relève pas du domaine politique. Il ne peut s'en intéresser que du point de vue des conséquences concrètes, sans le mêler directement à la pratique religieuse en elle-même. Considérations très importantes, que ne suivait pas Oskar Freisinger, qui s'amusait toujours bêtement à critiquer des passages du Coran...
Sans sous-entendre que le but inavoué de ce débat serait de juger les religions sous l'angle de leur capacité laïque, je pense qu'un tel débat pourrait justement amener des questions détournées sur le tapis, du type de l'initiative anti-minarets. Même si les propos et émotions mises sur ce même tapis peuvent donner une indication du baromètre français...
10 De Joe Liqueur -
Bonjour, je découvre votre site. Je tiens à préciser ceci : en droit français (je ne sais pas ce qu'il en est pour la Suisse), le droit d'apostasie n'a tout simplement aucun sens, étant donné que la République ne reconnaît aucun culte (loi de 1905).
Il en va de même, d'ailleurs, pour le renoncement à toute action violente. Toute action violente est de toute façon prohibée (et punie) dans tous les cas.
11 De alcodu -
Oui bien sûr et je suppose comme vous qu'il en va de même en Suisse.
Mais il aussi des textes de loi musulmans qui sont bien antérieur au droit français ou suisse. Le Coran est un texte de loi.
La question est donc, avant d'autoriser la construction d'un lieu de culte, que ses responsables, reconnaissent la prééminence du droit local.
Comme il est inutile de demander cela pour des questions purement spirituelles, je pense qu'il faut demander aux responsables d'un lieu de culte de reconnaitre la prééminence du droit français ou suisse uniquement sur les points qui posent problème.
Or le Coran semble (je suis prudent) interdire l'apostasie et préconiser la violence à l'égard des athées et des apostats.
12 De Joe Liqueur -
Vous ne m'avez pas convaincu. La République ne reconnaît aucun culte, le Coran est donc une œuvre littéraire, en aucun cas un texte de loi. Ou alors il va aussi falloir s'attaquer à la charia, aux dix commandements, j'en passe et des meilleures (ou des pires).
13 De alcodu -
Formellement vous avez raison mais je ne suis pas sûr qu'une attitude psycho rigide sur la loi islamique soit de nature à dissiper les tensions. Allez dire aux musulmans qui y sont attachés que le coran est une oeuvre littéraire...
La république ne reconnait aucun culte... sauf le sien : Marianne, le décorum républicain, sa garde, l'écharpe tricolore, etc. Le fonctionnariat à la française a d'ailleurs de nombreuses similitudes avec le clergé de l'ancien régime : les fonctionnaires ne travaillent pas, ils "exercent une mission", ils "servent l'Etat"., ils donnent des leçons de morale à une société civile dissolue, coupable de rechercher le profit, ils ont fait vœu de pauvreté. Par ailleurs on est fonctionnaire pour la vie et on y entre jeune. Enfin, comme le clergé, la fonction publique recrute aussi bien parmi les riches que parmi les pauvres.
Il y a donc bien au moins un culte officiel en France.