Les libéraux contre le service minimum

En ces temps de tensions sociales et de grèves sur fond de crise, il est bon de rappeler que les libéraux ne peuvent tolérer la notion de service minimum que tentent d'imposer les étatistes de droite un peu partout en Europe.

Acceptée dans de nombreux pays, l'institution du service minimum est la conséquence logique des dérèglements qu'engendrent  le droit de grève moderne conjugué avec l'existence des monopoles publics et du capitalisme de connivence.
Rappelons la position des libéraux sur la grève.

Une grève c'est la possibilité qu'ont les salariés d'une entreprise de cesser collectivement de travailler pour affronter la direction. Il s'agit généralement d'obtenir des améliorations de leurs conditions salariales. La grève peut aussi servir à soutenir un salarié particulier contre un comportement de la direction jugé discriminatoire ou injuste. La grève est donc un arrêt de travail collectif résultant d'une libre association.

Tout cela est parfaitement compatible avec l'éthique libérale. Toute loi qui chercherait à empêcher cette libre association serait contraire au principe de liberté. Les libéraux se sont donc opposé au XIXe siècle au trop grand pouvoir des entrepreneurs et de l'Etat qui pouvaient obtenir la condamnation pénale de toutes les formes d'associations, donc des grévistes. La loi Le Chapelier du 14 juin 1791, sous le prétexte d'abolir les corporations d'artisans et d'entrepreneurs, avait aussi aboli toutes les formes d'associations d'ouvriers, donc les grèves. D'inspiration Jacobine, cette loi n'admettait aucun intermédiaire entre l'individu et l'Etat. C'est un député libéral, Emile Ollivier qui fut le rapporteur de la loi du 25 mai 1864 qui allait abroger le délit de coalition créé par Le Chapelier.

Mais les libéraux s'insurgent aussi contre la dérive contraire qui consiste à donner plus de droits aux salariés qu'aux employeurs. Le droit positif moderne institue en effet un "droit de grève" dans lequel le salarié ne met pas en jeu son poste. Il s'agit là d'une atteinte portée au droit de l'employeur.

Un employeur doit pouvoir licencier des employés grévistes de la même manière que des salariés doivent pouvoir cesser le travail ou démissionner collectivement, même si cela menace de provoquer la faillite de l'entreprise.

L'établissement d'un droit de grève dans lequel le salarié peut perdre son emploi aboutit à un plus grand équilibre. L'employeur qui paye mal réfléchira à deux fois avant de licencier des employés grévistes qu'il devra remplacer à des salaires plus élevés tout en assumant de lourds frais de recrutement et de formation.  A l'inverse, des employés bien payés sur le marché n'auront pas intérêt à se mettre en grève puisque leur employeur pourra les remplacer facilement.

Le choix d'instaurer un "droit de grève" dans lequel l'employé ne risque pas son poste constitue en revanche une source d'instabilité qui, comme toujours en droit positif, peut avoir des conséquences catastrophiques pour la liberté et la démocratie.

Avec le "droit de grève" positif, rien n'empêche des employés bien payés de se mettre en grève pour demander des salaires toujours plus élevés. A part la faillite de l'entreprise on ne voit pas ce qui pourrait les arrêter. Si de surcroît cette entreprise ne peut pas faire faillite car elle appartient à l'Etat et qu'elle sera de toutes façons refinancée par les impôts, alors il n'y a plus aucune limite au pouvoir des salariés. Usant de leur "droit de grève" sans courir de risque pour leur emploi, ils peuvent continuer la grève jusqu'à exiger que les journées chômées leurs soient payées. Cette "combine" atteint son paroxysme avec l'emploi à vie dont bénéficient les fonctionnaires, mais elle produit aussi des effets dévastateurs dans les grosses entreprises capitalistes assurées du soutient indéfectible de l'Etat.

Le "droit de grève" sans risque sur l'emploi est donc instable par nature.  Les étatistes en sont un peu ennuyés. Ils se rendent compte que la situation est intenable. Ce qui reste de l'économie libre est régulièrement pris en otage par les grèves du secteur monopolistique. Mais les étatistes ne sont prêt à renoncer ni au "droit de grève" qu'ils ont inventé, ni aux monopoles publics qui alimentent leur clientèle électorale ni d'ailleurs aux gigantesques oligopoles du capitalisme d'Etat  qui leurs servent d'alibi pour justifier leur appartenance à l'économie "de marché".

Comme toujours lorsqu'ils sont confrontés à l'échec de leurs constructions délirantes, les étatistes réagissent en créant de nouvelles lois. C'est cette logique qui les a amenés à inventer le "service minimum" au nom duquel on oblige une partie du personnel à travailler contre son gré. Or le travail obligatoire est assimilable à de l'esclavage (non propriété de son corps). Les réquisitions de personnel, obligé de travailler un jour de grève, sont donc parfaitement anti-libérales et contraires aux Droits de l'Homme. Aucun employeur ni aucun pouvoir de l'Etat ne peut obliger quiconque à travailler.

L'expression "droit de grève", est d'ailleurs tout à fait révélatrice de la philosophie étatiste. Pour un étatiste il faut en effet un droit spécial, c'est à dire une loi, pour autoriser et encadrer le déroulement d'une grève. Pour un libéral, pas besoin de loi, le droit d'association et d'interruption du travail vont de soi puisqu'ils sont librement consentis et qu'aucune loi ni aucune institution ne peut forcer quelqu'un à travailler contre son gré. Avoir besoin d'instaurer un "droit" pour justifier la grève c'est admettre que le travail d'un individu n'est pas par défaut sa propriété inaliénable, c'est donc implicitement admettre l'esclavage.

Avec le service minimum les constructivistes ont réinventé le travail obligatoire.  Ces mots de sinistre mémoire auraient du les alerter, allumer une étincelle de lucidité dans leur esprit, mais non, rien n'y fait, ils nous entraînent toujours plus loin sur la route de la servitude.

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